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Avec l’irruption de la crise économique du covid-19, le thème de l’emploi va revenir en force dans le débat politique et avec lui, la proposition d’État employeur en dernier ressort. Une proposition a priori séduisante mais qui dédouane les entreprises de toute politique de l’emploi et qui consacre la division du salariat entre les « employables » et les autres.

Suite au confinement nécessité par la pandémie du Covid-19, de nombreuses PME vont faire faillite et certaines grandes entreprises préparent déjà de futurs plans de licenciements. Immédiatement, de nombreux contrats d’intérim ont été rompus, des CDD ne sont pas renouvelés et le chômage vient de connaître un première hausse.

Cette situation n’est pas nouvelle. Cela fait quarante ans que le chômage de masse frappe nos économies, chômage souvent arbitré par la précarité des contrats de travail courts, de l’intérim, de l’auto-entrepreneuriat et autres mini-jobs. C’est dans ce contexte que la proposition de l’État employeur en dernier ressort émerge régulièrement dans le débat politique. Il s’agit d’un concept qui a été théorisé par Hyman Minsky, économiste post-keynésien, et remis au goût du jour à la gauche du parti démocrate avec la Modern Monetary Theory. En deux mots, l’État s’engage à embaucher toute personne qui le souhaite au salaire minimum pour réaliser des tâches que les collectivités locales vont déterminer en fonction des besoins. À une échelle microéconomique, cela correspond à l’expérimentation française des territoires zéro-chômeurs.

Les avantages de cette proposition sont multiples. Elle permet de redonner confiance à des personnes éloignées de l’emploi. Même si cela coûte au budget public, le surcroît reste raisonnable pour l’État compte tenu des filets sociaux de sécurité déjà en place. En contrepartie, les collectivités bénéficient d’une activité utile à la société. Enfin, fidèle à une logique toute post-keynésienne, on peut y voir un outil économique contra-cyclique : en cas de baisse de l’activité et de recrudescence du chômage, l’État permet à tout le monde de bénéficier d’emplois rémunérés au salaire minimum, ce qui soutient la demande en creux de cycle afin de favoriser la relance. Notons par ailleurs que cette garantie d’emploi au salaire minimum pousse ainsi les entreprises à embaucher au-delà de celui-ci.

Tout ceci est indiscutable et pourtant, cette proposition reste très insuffisante. Les entreprises sont totalement dédouanées d’un quelconque objectif de plein emploi. Chacune d’entre elles embauche ou licencie en fonction de son horizon économique et l’État, censé représenter la collectivité politique, est là pour jouer le rôle de pompier. Vous n’avez pas d’emploi ? Les entreprises ne veulent pas de vous ? Fort heureusement, il existe un État protecteur, paternaliste et bienveillant, qui prend soin de vous et va vous fournir un revenu et un travail. Mais n’en demandez pas de trop non plus : vous serez payés au salaire minimum. Les autres, ceux qui ont su préserver leur « employabilité » à l’égard des entreprises ont droit à plus.

Il faut donc y opposer une autre approche qui estime que les entreprises doivent être au service de l’humain et qui impose à celles-ci l’obligation d’embaucher toute personne qui souhaite avoir un emploi. Il ne s’agit donc plus d’utiliser un État qui jouerait sa partition à côté des entreprises, mais d’imposer une exigence politique à l’ensemble des entreprises. Comment faire ? La péréquation interentreprises est la réponse : il suffit de payer une somme mensuelle fixe (1500 euros par exemple) à toute entreprise pour chaque personne qui y travaille. Comment financer des montants de l’ordre de 300 milliards d’euros par an ? Par les entreprises elles-mêmes : elles se verront prélever, en contrepartie de ces versements de 1500 euros par emploi, un pourcentage (31 %) de la différence entre ce qu’elles encaissent en terme de ventes et ce qu’elles payent à leurs fournisseurs.

Ceci ne coûte pas un seul centime à l’État et offre au minimum les mêmes avantages que la proposition d’État employeur en dernier ressort : cette mesure permet de s’assurer que toute personne a un emploi avec des revenus qui seront supérieurs aux minimums des législations sociales ; elle est contracyclique au sens où ces salaires maintiennent une demande à l’égard des entreprises. Toutefois l’aspect contracyclique de la péréquation interentreprises sera encore plus efficace parce qu’il opère au niveau de chaque entreprise : si l’une d’entre elle se retrouve en difficulté passagère, elle paiera moins au système tout en conservant le bénéfice qu’apporte ses emplois, ce qui permettra d’éviter de nombreux licenciements.

Mais l’avantage essentiel de cette mesure est de ne pas diviser la classe salariée en deux catégories, celle des salarié.es que les entreprises ont choisi.es et celle des autres qui sont confinés aux travaux d’intérêt général payés au salaire minimum. Désormais, il n’y aura qu’une seule catégorie de salarié.es, toutes et tous employé.es dans les entreprises. Parce que l’entreprise sait que la présence d’une personne dans l’entreprise est bonifiée par 1500 euros, cette proposition déplace la rareté des emplois vers les individus : ce seront désormais les entreprises qui peineront à trouver du monde pour travailler et non plus les individus qui seront désespérément à la recherche d’un emploi. Cette notion détestable de l’employabilité de la personne n’existera plus car les entreprises devront prendre en considération toutes les personnes qui souhaitent avoir un emploi et ce, quelles qu’elles soient.

On peut penser qu’une telle perspective serait dramatique pour les sociétés de capitaux qui devront rivaliser entre elles pour offrir de bons salaires au point où elles seraient bien en peine de dégager des profits. Ce sera effectivement le cas et posera la question de la reprise des entreprises par les salarié.es et du départ des actionnaires.

Post-keynésianisme et post-capitalisme sont deux orientations bien différentes. Le post-keynésianisme se place dans le cadre du maintien du capitalisme. Vis-à-vis du chômage, il lui est, pour cela, nécessaire de créer un statut de seconde division pour certains salarié.es. Sortir du capitalisme, c’est permettre que tous les individus trouvent et surtout choisissent leur emploi.

Photo by Free To Use Sounds on Unsplash

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