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Pourquoi parler sur le site de l’Association Autogestion d’un livre qui a plus de dix ans et qui parle de l’Irak ? Tout simplement pour rappeler une insurrection trop souvent oubliée, celle des Conseils ouvriers (shura) qui a eu lieu en 1991 à partir de Soulaymania et dans d’autres villes irakiennes. Cette insurrection a duré trois semaines, trois semaines durant lesquelles les forces nationalistes – UPK et PDK – surtout présentes dans les montagnes, seront tenues à l’écart, trois semaines durant lesquelles ces conseils ont repris la direction des usines pour contrôler le processus de production et d’administration. Le contexte de cette insurrection était clair : après des jours de bombardements de l’Irak par les États-Unis et la coalition internationale, le régime baasiste de Saddam Hussein était sur le point de s’effondrer. Les États-Unis arrêteront alors leur avancée en territoire irakien laissant ainsi le pouvoir baasiste puis les nationalistes kurdes reprendre le contrôle de la situation.

Cette insurrection, largement ignorée par les médias internationaux et la majeure partie des forces politiques de la gauche occidentale, a été préparée par le mouvement communiste ouvrier, « ce curieux cocktail politique né en Iran à la fin des années soixante-dix ». Celui-ci puise ses origines dans la révolution iranienne de 1978 en Iran – dans laquelle sont apparus les premières shura (conseils ouvriers) – qui mettra fin au régime pro-américain du Shah. Alors que la plupart des groupes d’extrême-gauche appuieront, de façon plus ou moins critique, la prise de pouvoir des islamistes et de l’ayatollah Khomeini, au nom de l’anti-impérialisme, ce courant refusera la mise en place de ce régime au nom de la lutte des classes, de la liberté et de l’égalité hommes-femmes.

Ce livre, coordonné par Nicolas Dessaux, est une collection de huit interviews menées auprès de différent-es militant-es et acteur-trices de ce courant ou proche de celui-ci. Il cherche à démontrer qu’il existe aujourd’hui en Irak des forces politiques anti-capitalistes qui rejettent tout autant l’islamisme que l’impérialisme. La première interview de Muayad Ahmad, qui a participé à cette insurrection irakienne de 1991, nous donne une idée assez précise de ce qu’elle a pu être. On notera la place importante laissée aux militantes féministes, notamment la longue interview de Surma Hamid qui nous parle sans fard de la place de la femme dans la société kurde. Ces interviews nous permettent de comprendre les enjeux de la lutte de ces militants de gauche pour les libertés syndicales et les libertés de la femme ainsi que du rôle fédérateur du Congrès des libertés en Irak.

On commencera logiquement la lecture par l’introduction de Nicolas Dessaux qui nous permet de saisir le contexte dans lequel ce courant politique a pu émerger. On comprendra comment la politique de l’occupant américain depuis 2003, qui consiste à dresser les groupes ethniques ou religieux les uns contre les autres, a pu conduire à la guerre civile : « Toutes les tentatives de résumer sur une carte cette imbrication de plusieurs niveaux ne peuvent déboucher que sur des catastrophes, car elles aboutissent nécessairement à simplifier la réalité, à oublier que, dans un même quartier, un Arabe chiite peut avoir pour voisins un Kurde chrétien et un musulman sunnite, ou qu’on peut comme Samir Adil, être à la fois d’origine arabe, kurde et turcomane, tout en étant personnellement athée. Lorsqu’on se met en tête de tailler des frontières propres et nettes dans cette complexité, l’épuration ethnique n’est plus très loin. » La réponse à cette complexe réalité est donc bien l’affirmation des libertés humaines fondamentales incluant la totale liberté religieuse, l’égalité hommes-femmes et un auto-gouvernement qui s’exprime aussi bien dans les quartiers que dans les entreprises, perspective qui était ouverte lors de l’insurrection de 1991 et qui dessine la fin du capitalisme, perspective que ne veulent ni les États-Unis, ni les groupes nationalistes ou islamistes.

Coordonné par Nicolas Dessaux
Résistances irakiennes, Contre l’occupation, l’islamisme et le capitalisme
Editions l’échappée
ISBN 2-915830-10-X
2006 – 172 pages – 10 euros

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